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Mauritanie : L’illusion extractiviste et le mirage de la croissance inclusive. Analyse critique du rapport de la Banque mondiale – Perspectives économiques, Juin 2025

Jeudi 26 Juin 2025

Par Cheikh Sidati Hamadi – Chercheur associé, analyste, Expert senior en droits des Communautés discriminées sur la base de l’ascendance et du travail (CDWD)
Introduction
Le rapport officiel de la Banque mondiale, publié en juin 2025 sous le titre Réformer pour l’inclusion et la résilience : maintenir la dynamique de la réforme de l’assistance sociale en Mauritanie¹, se veut rassurant quant à la trajectoire économique du pays. Il met en avant une dynamique supposément vertueuse, articulant exploitation des ressources extractives et renforcement des politiques sociales, notamment à travers le programme Tekavoul et les initiatives portées par l’Agence Taazour.


C’est un rapport qui défend une thèse désormais classique : celle d’un pays engagé dans des réformes progressives, renforçant à la fois sa résilience économique et sa cohésion sociale. La croissance attendue, dopée par les perspectives d’exploitation du gaz naturel et les politiques sociales en cours, serait porteuse d’inclusion et de prospérité partagée.
Mais cet optimisme technocratique masque mal une réalité bien plus sombre : celle d’une croissance sans développement, marquée par la persistance des inégalités, par une exclusion structurelle de larges pans de la population, et par la reproduction d’un modèle extractiviste consolidé au profit d’une minorité. Le rapport élude soigneusement les causes profondes de la pauvreté, de l’exclusion sociale, des discriminations systémiques et de la gouvernance défaillante.
Plus grave encore, cette vision enjolivée entre en contradiction flagrante avec les constats accumulés depuis près d’une décennie dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP 2016-2030), qui n’a produit ni croissance durable ni prospérité partagée. La SCAPP, conçue comme pilier central de la politique économique nationale, est devenue une coquille vide. Elle est citée dans tous les rapports officiels, mais ses indicateurs d’impact réel sur la réduction des inégalités et de la pauvreté sont dramatiquement faibles².
À cela s’ajoute une gouvernance marquée par l’opacité et l’inefficacité chronique des institutions publiques, en particulier la Cour des comptes, dont les rapports sont publiés tardivement, partiellement, et restent sans suite judiciaire concrète¹⁰.

Une croissance artificielle, plus faible que les décennies précédentes

Le rapport prévoit une croissance moyenne de 5,7 % sur 2025-2026, tirée principalement par l’exploitation du gaz (GTA) et du minerai de fer¹. Mais cette projection, loin d’être inédite, s’inscrit dans une continuité trompeuse. Déjà entre 2012 et 2014, la Mauritanie avait enregistré une croissance annuelle de 6 à 7 % portée par le boom minier, avant de retomber sous la barre des 4 % dès 2015, lorsque les prix mondiaux des minerais s’étaient effondrés².
Cette nouvelle phase de « croissance extractive » est donc un recyclage de scénarios antérieurs qui ont produit un enrichissement de court terme pour une élite, sans transformation structurelle durable.
Pis encore, cette croissance repose toujours sur des ressorts dangereux :
  • Le minerai de fer, dont le prix a chuté de 18 % au premier semestre 2025⁶, affaiblissant les recettes budgétaires.
  • Le projet GTA concentre près de 40 % des investissements étrangers directs en 2024, mais aucune redistribution tangible n’a été observée en termes d’emplois ou d’infrastructures pour les populations locales.
Cette dépendance fragilise l’économie et rappelle le schéma décrit par Acemoglu et Robinson dans Why Nations Fail⁹ : lorsque les institutions sont extractives, même la croissance apparente devient un instrument d’accumulation oligarchique.

Une fiscalité minière inadaptée, au détriment de l’intérêt général

Le rapport de la Banque mondiale ne consacre aucune analyse critique à la fiscalité minière, pourtant au cœur de la problématique extractiviste. La SNIM, principale société minière publique, contribue à peine 7 % du PIB, et ses versements effectifs au budget sont notoirement opaques⁵.
Dans le cas du projet gazier GTA, les données officielles concernant la part revenant à l’État restent floues. Selon le rapport ITIE 2023, plus de 70 % des bénéfices nets attendus sur les 15 prochaines années seront captés par des multinationales⁵.
Face à cette situation, une révision en profondeur du code minier et gazier s’impose pour imposer une fiscalité progressive, transparente, et équitable. Ce renforcement fiscal est la seule voie réaliste pour convertir la rente extractive en investissements structurants dans l’éducation, la santé, l’agriculture et l’infrastructure.

SCAPP : Une stratégie en échec malgré les ressources

La SCAPP 2016-2030 devait permettre de réduire la pauvreté à 15% et diversifier l’économie. Pourtant, la Banque mondiale elle-même constatait que la part de l’agriculture dans le PIB stagne à 19 %, tandis que le secteur extractif reste prépondérant².
Le rapport d’évaluation interne de la SCAPP indique que seuls 27 % des objectifs sectoriels ont été atteints à mi-parcours, et que moins de 15 % des investissements prévus dans le développement rural et agricole ont été réalisés². Cela confirme que la croissance actuelle est non seulement artificielle mais structurellement déséquilibrée, avec une concentration extrême des ressources dans les secteurs extractifs.

Discrimination structurelle et inégalités persistantes

Le rapport mentionne un taux national de pauvreté de 28 %, mais omet de rappeler que dans des régions comme le Guidimakha ou le Gorgol, ce taux dépasse les 40 %, selon les données compilées par Oxfam Mauritanie³.
Plus fondamentalement, cette pauvreté est structurellement discriminatoire. Les Communautés discriminées sur la base de l’ascendance et du travail (CDWD) particulièrement les Haratines sont surreprésentées parmi les populations pauvres³⁷. Ce fait est attesté par les rapports alternatifs de l’EPU⁷ et conforte l’analyse selon laquelle la pauvreté en Mauritanie est aussi une question communautaire et historique.

Gouvernance, corruption et échecs sectoriels

La Cour des comptes a révélé en 2023 que plus de 30 % des marchés publics étaient attribués sans appel d’offres conforme¹⁰. Les secteurs agricoles et halieutiques restent sous-financés, avec respectivement moins de 3 % du budget national consacré à l’agriculture¹¹, et un secteur halieutique limité à 7 % du PIB malgré son potentiel exceptionnel⁸.
La corruption, quant à elle, reste endémique, avec la Mauritanie classée 130e sur 180 dans l’Indice de perception de la corruption⁴.

Conclusion : Pour une rupture réelle, pas un ajustement cosmétique

Le modèle économique actuel, tout comme la trajectoire proposée par la Banque mondiale, conduit à reproduire une économie extractiviste sans redistribution réelle. Sans une révision profonde de la fiscalité minière et gazière, sans réorientation effective de la SCAPP, et sans reconnaissance officielle des discriminations historiques subies par les CDWD, la Mauritanie restera prisonnière d’une illusion de croissance.
Il est urgent d’instaurer une gouvernance fondée sur la transparence, l’inclusion réelle des populations marginalisées, et une politique fiscale ambitieuse garantissant une répartition équitable des richesses nationales. Sans cela, les milliards attendus du gaz et du fer continueront d’enrichir une minorité affairiste, tandis que la majorité de la population restera dans la précarité.
 

Références

  1. Banque mondiale (2025). Réformer pour l’inclusion et la résilience : maintenir la dynamique de la réforme de l’assistance sociale en Mauritanie. https://documents1.worldbank.org/curated/en/099061225033569207/pdf/P507238-df34455d-3816-4578-b9a9-0e6eb57e1a53.pdf
  2. Banque mondiale (2024). Mauritania Economic Update : Harnessing extractives for sustainable development. https://documents1.worldbank.org/curated/en/099042904152237553/pdf/P174185068ecf40bd0a0580c14e5d35dbf4.pdf
  3. Oxfam Mauritanie (2024). Analyse critique des politiques sociales et de la pauvreté en Mauritanie. Rapport disponible auprès d’Oxfam.
  4. Transparency International (2024). Indice de Perception de la Corruption – Rapport 2024. https://www.transparency.org/en/cpi/2024/index/mrt
  5. Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (EITI Mauritanie, 2023). Rapport ITIE Mauritanie 2023. https://eiti.org/fr/countries/mauritania
  6. IMF (2025). Commodity Prices Database. https://www.imf.org/en/Research/commodity-prices
  7. Examen Périodique Universel (2024). Rapports alternatifs des ONG mauritaniennes. https://www.ohchr.org/fr/hr-bodies/upr/mr-index
  8. FAO (2024). Rapport sectoriel sur la pêche en Mauritanie. https://www.fao.org/3/cc8121fr/cc8121fr.pdf
  9. Acemoglu, D., & Robinson, J. (2012). Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity, and Poverty. Crown Publishing.
  10. Cour des comptes de Mauritanie (2023). Rapport annuel. https://www.coursupreme.mr/fr/content/rapport-annuel-cour-des-comptes-2023
  11. Ministère des Finances de Mauritanie (2024). Loi de finances 2024. https://www.finances.gov.mr/fr/content/loi-de-finances-2024
 
 







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Investi président de la BAD : défis et enjeux pour Sidi ould Tah

Elu président de la Banque Africaine de Développement (BAD), au troisième tour de scrutin, avec 76,18% des voix fin mai, l’économiste mauritanien, Sidi ould Tah, a été investi dans ses nouvelles fonctions ce lundi 01 septembre, au cours d’une cérémonie solennelle organisée dans le plus grand réceptif hôtelier de la capitale économique ivoirienne.

Un événement qui s’est déroulé en présence de plusieurs chefs d’états africains parmi lesquels Mohamed Cheikh El Ghazouani , tout le gotha de la finance, des affaires du continent et du monde.
Aussitôt investi, le nouveau patron de la BAD a proclamé sa détermination à agir en faveur « de la construction d’une Afrique robuste et prospère » malgré un contexte marqué par de nombreux défis, qui indiquent clairement les enjeux aux quels doit faire face la Banque Africaine de Développement (BAD) au cours des 5 prochaines années.
Le nouveau président de l’institution financière panafricaine « prend l’engagement de travailler dans un esprit de concertation et de collégialité, afin de poursuivre la mission qui nous unit : bâtir une Afrique robuste et prospère ».
 

Défection américaine et poids de la dette

Sur le » front »  depuis plusieurs années, entre responsabilités gouvernementales et direction de la Banque Arabe pour le Développement Economique  de l’Afrique (BADEA), le nouveau super banquier africain,  est parfaitement conscient des défis et enjeux « réduction de l’aide internationale au développement, poids de la dette et impact négatif du changement climatique ».
En effet, Sidi ould Tah prend les commandes BAD, dans un contexte compliqué  de retrait des ressources américaines du Fonds Africain de Développement (FAD), le guichet concessionnel de l’institution financière panafricaine.
 Un gap de 427 millions de dollars, qui renvoie au redoutable défi des financements alternatifs.
Un enjeu capital restitué à travers ce passage du discours du nouveau président de la BAD « l’Afrique nous regarde, la jeunesse nous attend, le temps est à l’action».
Ainsi,  au cours de ce mandat de 5 ans, la BAD doit faire face au problème de la recapitalisation, sous la poussée vertigineuse des demandes de financements, dans un contexte de baisse de l’aide publique.
La question vitale de la transformation de l’institution, pour plus d’efficacité et une adaptation aux besoins  des pays africains.
Le financement du développement à travers une plus grande mobilisation des ressources. Un défi qui établit une jonction parfaite avec la nécessité de recapitalisation.
Plus d’indépendance stratégique et soutien au secteur privé, véritable moteur de la croissance et de l’emploi, figurent également au rang des défis de la nouvelle administration de la Banque Africaine de Développement(BAD).
Sidi ould Tah est un économiste  mauritanien, natif de la région du Trarza (Sud/Ouest), âgé de 61 ans. Formé à l’université de Nouakchott et en France, il a été ministre de l’économie et Directeur Général de la Banque Arabe pour le Développement Economique  de l’Afrique (BADEA), pendant une décennie.
Fondée en 1964, la BAD, l’une des grandes banques multilatérales de développement,  compte 81 pays membres, dont 54 africains.
Le capital de l’institution est passé de 93 à 318 milliards de dollars sous la présidence du Nigérian AkiwumiAdesina, avec une notation  AAA.
Les ressources de la BAD, qui finance de nombreuses infrastructures sur le continent,  proviennent des  états membres, des emprunts effectués  sur les marchés internationaux, des remboursements et revenus des prêts.
 

Amadou Seck Seck
01/09/2025