Tribune critique : La tribune de Maître Bouhoubeyni ou l’art de dénoncer sans rompre
Par Cheikh Sidati Hamadi – Expert senior en droits des CDWD, analyste, essayiste, chercheur associé.
Ce 15 juin 2025, Maître Ahmed Salem Bouhoubeyni a publié une tribune sur le dialogue politique en Mauritanie, posant un constat partiel et tiède sur ce qui est, depuis trop longtemps, une comédie politique orchestrée. Certes, il est salutaire de reconnaître que les dialogues successifs ont souvent été des exercices de mise en scène, visant à préserver des équilibres partisans, à redistribuer des postes et à recycler des thèmes sensibles sans réelle volonté de résolution. Mais cette lucidité s’arrête là où le véritable engagement devrait commencer : éclairer les blocages structurels, pointer les responsabilités et proposer des ruptures concrètes.
Des angles morts révélateurs d’une stratégie d’évitement
La tribune souffre d’angles morts qui ne relèvent pas du hasard, mais semblent au contraire être des silences calculés. Pourquoi ne pas évoquer :
Le verrouillage institutionnel délibéré par les appareils du pouvoir ?
Les logiques claniques et raciales qui conditionnent la distribution des richesses et des postes ?
L’exclusion méthodique des forces sociales réelles, notamment des représentants des communautés discriminées sur la base de l’ascendance et du travail (CDWD) ?
La tentative inintelligente, dangereuse et improductive de mise à l’écart persistante d’acteurs majeurs comme Biram Dah Abeid, dont l’ancrage intérieur profond, la forte implantation dans la diaspora mauritanienne, ainsi que l’aura internationale reconnue renforcent son envergure nationale, attestée par ses trois classements successifs à la deuxième place lors des trois dernières élections présidentielles.
Ce sont précisément ces mécanismes d’auto-reproduction du système qui expliquent l’échec chronique du dialogue. Ignorer ces causes, c’est entretenir la farce.
Le passé à la CNDH : un oubli embarrassant
Il est également nécessaire de rappeler que Maître Bouhoubeyni a lui-même été à la tête de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), un rôle qui exigeait neutralité et engagement réel pour la défense des droits humains. Sous sa présidence, la CNDH a failli à cette mission : elle n’a pas su s’imposer comme un acteur crédible, ni protéger efficacement les victimes, en particulier parmi les communautés discriminées sur la base de l’ascendance et du travail (CDWD). Ce passé, pourtant déterminant, est passé sous silence, révélant une volonté d’éluder ses propres responsabilités.
Une posture politique plus qu’une parole de rupture
Derrière cette tribune, difficile de ne pas percevoir une volonté subtile de réinvestir le débat politique en endossant le rôle du « sage expérimenté » qui « avait prévenu ». Mais la politique ne se réduit pas à un rôle d’observateur distant. Prévenir sans agir, critiquer sans proposer, c’est perpétuer l’immobilisme.
Les Mauritaniens n’attendent pas des gestionnaires recyclés du système, mais des ruptures courageuses portées par des acteurs engagés, prêts à transformer le statu quo.
L’inclusivité, condition sine qua non du dialogue
On ne peut appeler cela un dialogue sérieux si l’on tente ou manigance pour exclure des acteurs légitimes, en particulier Biram Dah Abeid.
L’inclusivité ne doit pas être une concession choisie, mais la base même de toute discussion politique crédible. Sans cela, le dialogue est un arrangement entre initiés, une négociation stérile.
Pourquoi les sujets restent vides ?
Parce que les vrais concernés sont absents.
Les thèmes comme le passif humanitaire, l’esclavage ou l’unité nationale paraissent « vides » parce que ceux qui les portent réellement sont maintenus à l’écart. Les victimes, les discriminations et les violences systémiques sont toujours là, mais les salles de conférence où l’on débat sont peuplées d’initiés déconnectés.
Ce qu’il faut exiger, aujourd’hui :
Une inclusivité totale, sans discrimination politique ou communautaire
La priorisation des sujets de fond : passif humanitaire, égalité réelle devant la citoyenneté, justice transitionnelle, refondation de la structure chargée des élections.
Un calendrier contraignant assorti de mécanismes de suivi indépendants.
Une supervision internationale impartiale pour garantir la transparence.
Conclusion
Entre lucidité partielle et posture politique
Cette tribune de Maître Bouhoubeyni porte une forme de lucidité, mais aussi une posture ambiguë. Le pays n’a pas besoin d’oracles tardifs ou d’arbitres autoproclamés. Il réclame du courage, des propositions concrètes, des ruptures assumées, et surtout le respect de la souveraineté populaire exprimée par les urnes.
Si le dialogue politique reste un cercle fermé, réservé aux anciens habitués, il reproduira la même farce que celle que l’auteur prétend dénoncer.
Ne cherchons pas des lumières individuelles. Cherchons ensemble des solutions collectives
16/06/2025