L’idée de ce document remontait pratiquement à l’arrivée de Salim à la tête de l’organisation. Fort d’une riche expérience diplomatique, tant bilatérale que multilatérale – ayant notamment servi pendant une décennie comme représentant permanent de son pays, la Tanzanie, auprès des Nations unies à New York et assumé d’importantes responsabilités dans les structures intergouvernementales de l’organisation mondiale –, il était frappé par le relâchement de l’engagement des États membres envers les idéaux fondateurs de l’OUA. Avec le quasi-parachèvement de la libération du continent du joug colonial et les lézardes de plus en plus visibles dans le système finissant de l’apartheid, l’organisation – dont l’action, dans la foulée de la vague des indépendances des années 60, avait jusqu’alors essentiellement porté sur la lutte contre la domination étrangère et la discrimination raciale – semblait en quête d’une nouvelle vocation. Les signes de cette apathie étaient multiples: faible participation aux réunions, retards répétés dans le paiement des contributions statutaires, désintérêt croissant pour les mécanismes de solidarité panafricaine.
Et pourtant, les défis ne manquaient pas – ils avaient simplement changé de nature. Si certains conflits touchaient à leur fin, d’autres persistaient ou éclataient, entraînant leur cortège bien connu de souffrances pour les populations civiles et, quelquefois, d’effondrement complet des structures de gouvernance. Le développement économique et l’intégration continentale, malgré les engagements pris dans le cadre du Plan d’action et de l’Acte final de Lagos de 1980, relevaient davantage du registre des vœux pieux que de celui de la réalité vécue (ici). La situation des droits de l’homme restait préoccupante, même si l’adoption, une décennie plus tôt, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – précédée en 1969 par la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique – représentait une lueur d’espoir. L’idéal démocratique, tout à son bourgeonnement, connaissait certes une nouvelle jouvence, mais la trajectoire demeurait incertaine et fragile.
La nécessité pour l’Afrique de se ressaisir n’en était que plus pressante. D’autant que le monde traversait des bouleversements majeurs marqués notamment par la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 et la fin de la Guerre froide, le souffle de la démocratisation en Europe de l’Est et l’accélération des dynamiques d’intégration en Europe et en Amérique. Autant de mutations qui imposaient à l’Afrique de s’adapter et ouvraient au continent de nouvelles opportunités qu’il se devait impérativement de saisir, sous peine d’être relégué en marge du nouvel ordre mondial alors en gestation.
Salim ne se contenta pas de dresser un état des lieux, sans concession: il formula également des propositions concrètes. Structurées autour des défis identifiés, celles-ci furent pour l’essentiel entérinées par la Déclaration sur la situation politique et socioéconomique en Afrique et les changements fondamentaux qui se produisent actuellement dans le monde, adoptée par le 26e sommet ordinaire qui eut lieu à Addis Abeba en juillet de la même année. Cette Déclaration devait inspirer une série de décisions et d’initiatives couvrant l’ensemble des domaines d’intervention de l’organisation, tout en posant les fondations des réformes futures de l’institution. Parmi ces avancées figurent notamment le Traité d’Abuja de juin 1991 instituant la Communauté économique africaine; la Déclaration du Caire de juin 1993, qui donna naissance au Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits; la Déclaration de Lomé de juillet 2000 sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement; et la Déclaration solennelle sur la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique (CSSDCA), également adoptée à Lomé et complétée, en juillet 2002, à Durban, par un Mémorandum d’entente énonçant des engagements exhaustifs et, à tous égards, révolutionnaires, notamment sur les questions de gouvernance (ici, ici et ici).
Bon nombre des progrès accomplis par la suite par l’Union africaine (UA) se sont inscrits dans le prolongement direct de ces documents fondateurs. Comme souligné dans un texte marquant le 30e anniversaire de la Déclaration de 1990, il est à la fois injuste et inexact de réduire l’OUA à un simple syndicat de chefs d’État prompts à se prêter mutuellement appui. Le véritable tournant dans l’évolution de l’institution continentale s’est opéré en 1990, et la continuité entre l’OUA et l’UA est bien plus forte qu’on ne le reconnaît généralement.
Il existe un parallèle saisissant entre cette période et celle que nous traversons aujourd’hui: celui-ci réside dans l’ampleur des bouleversements en cours. Le système multilatéral tel qu’il a été conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale traverse sans doute la crise la plus profonde de son histoire. En témoignent les dysfonctionnements du Conseil de sécurité, pierre angulaire du système de sécurité collective instauré par la Charte des Nations unies; l’incapacité de l’Organisation mondiale du commerce à arbitrer les différends commerciaux, désormais réglés à coups de tarifs et de contre-tarifs; ou
Et pourtant, les défis ne manquaient pas – ils avaient simplement changé de nature. Si certains conflits touchaient à leur fin, d’autres persistaient ou éclataient, entraînant leur cortège bien connu de souffrances pour les populations civiles et, quelquefois, d’effondrement complet des structures de gouvernance. Le développement économique et l’intégration continentale, malgré les engagements pris dans le cadre du Plan d’action et de l’Acte final de Lagos de 1980, relevaient davantage du registre des vœux pieux que de celui de la réalité vécue (ici). La situation des droits de l’homme restait préoccupante, même si l’adoption, une décennie plus tôt, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – précédée en 1969 par la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique – représentait une lueur d’espoir. L’idéal démocratique, tout à son bourgeonnement, connaissait certes une nouvelle jouvence, mais la trajectoire demeurait incertaine et fragile.
La nécessité pour l’Afrique de se ressaisir n’en était que plus pressante. D’autant que le monde traversait des bouleversements majeurs marqués notamment par la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 et la fin de la Guerre froide, le souffle de la démocratisation en Europe de l’Est et l’accélération des dynamiques d’intégration en Europe et en Amérique. Autant de mutations qui imposaient à l’Afrique de s’adapter et ouvraient au continent de nouvelles opportunités qu’il se devait impérativement de saisir, sous peine d’être relégué en marge du nouvel ordre mondial alors en gestation.
Salim ne se contenta pas de dresser un état des lieux, sans concession: il formula également des propositions concrètes. Structurées autour des défis identifiés, celles-ci furent pour l’essentiel entérinées par la Déclaration sur la situation politique et socioéconomique en Afrique et les changements fondamentaux qui se produisent actuellement dans le monde, adoptée par le 26e sommet ordinaire qui eut lieu à Addis Abeba en juillet de la même année. Cette Déclaration devait inspirer une série de décisions et d’initiatives couvrant l’ensemble des domaines d’intervention de l’organisation, tout en posant les fondations des réformes futures de l’institution. Parmi ces avancées figurent notamment le Traité d’Abuja de juin 1991 instituant la Communauté économique africaine; la Déclaration du Caire de juin 1993, qui donna naissance au Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits; la Déclaration de Lomé de juillet 2000 sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement; et la Déclaration solennelle sur la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique (CSSDCA), également adoptée à Lomé et complétée, en juillet 2002, à Durban, par un Mémorandum d’entente énonçant des engagements exhaustifs et, à tous égards, révolutionnaires, notamment sur les questions de gouvernance (ici, ici et ici).
Bon nombre des progrès accomplis par la suite par l’Union africaine (UA) se sont inscrits dans le prolongement direct de ces documents fondateurs. Comme souligné dans un texte marquant le 30e anniversaire de la Déclaration de 1990, il est à la fois injuste et inexact de réduire l’OUA à un simple syndicat de chefs d’État prompts à se prêter mutuellement appui. Le véritable tournant dans l’évolution de l’institution continentale s’est opéré en 1990, et la continuité entre l’OUA et l’UA est bien plus forte qu’on ne le reconnaît généralement.
Il existe un parallèle saisissant entre cette période et celle que nous traversons aujourd’hui: celui-ci réside dans l’ampleur des bouleversements en cours. Le système multilatéral tel qu’il a été conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale traverse sans doute la crise la plus profonde de son histoire. En témoignent les dysfonctionnements du Conseil de sécurité, pierre angulaire du système de sécurité collective instauré par la Charte des Nations unies; l’incapacité de l’Organisation mondiale du commerce à arbitrer les différends commerciaux, désormais réglés à coups de tarifs et de contre-tarifs; ou
encore l’affaiblissement des régimes internationaux de désarmement, y compris sur la question des mines antipersonnel, dont le danger avait pourtant suscité l’un des élans les plus marquants de mobilisation multilatérale et citoyenne des années 90, débouchant sur le Traité d’Ottawa de décembre 1997. Les égoïsmes nationaux connaissent un regain manifeste, illustré par la montée des sentiments anti-migrants et par la réduction marquée de l’aide au développement. Quant au droit international – qui, faut-il le rappeler, n’a jamais été totalement affranchi de la réalité des rapports de forces, il continue de faire l’objet de violations graves.
Si l’impératif d’agir était déįà fort en 1990 – époque marquée par l’optimisme post-Guerre froide et l’éveil d’un nouvel esprit de coopération –, il est auįourd’hui encore plus pressant, car dicté non plus par l’espoir, mais par la nécessité de faire face à une période d’instabilité et d’incertitudes profondes
Cette nouvelle conjoncture mondiale est lourde de périls pour l’Afrique. Continent le plus pauvre et le plus faible sur la scène internationale, l’Afrique subit de plein fouet la réduction de l’aide publique au développement, dont les effets se font déjà durement sentir sur le terrain. Dans plusieurs pays, cette baisse compromet le fonctionnement même des services sociaux de base et fragilise davantage des systèmes étatiques déjà précaires. Les tensions géopolitiques et autres se traduisent par l’intensification des luttes d’influence, une course effrénée pour le contrôle des ressources du continent et une internationalisation croissante des conflits et des crises qui l’affligent. Les processus de recherche de solutions deviennent ainsi plus complexes, plus opaques, souvent déconnectées des priorités locales, reléguant au second plan les mécanismes multilatéraux africains patiemment construits au fil de décennies d’efforts. L’affaiblissement du système multilatéral affecte plus durement l’Afrique que la plupart des autres régions du monde. Bien qu’imparfait, ce cadre permet au continent de faire entendre sa voix, de construire des coalitions et de défendre ses intérêts. Son effritement risque de marginaliser encore davantage les pays africains, en les livrant à des rapports de force bilatéraux où leurs fragilités structurelles les désavantagent fortement.
Pourtant, cette crise peut aussi être une opportunité. La contraction de l’aide internationale, pour dévastatrice qu’elle soit sur les court et moyen termes, pourrait néanmoins être un choc salutaire. Elle rappelle au continent l’urgence de réduire sa dépendance et de renforcer sa résilience. La pandémie de Covid-19 avait déjà offert un aperçu dramatique de cette vulnérabilité structurelle. Dans un contexte de compétition mondiale acharnée pour l’accès aux vaccins, l’Afrique s’était retrouvée quasiment abandonnée, victime d’un ordre international dont le fonctionnement évoquait, par bien des aspects, la logique hobbesienne selon laquelle « l’homme est un loup pour l’homme ». Un sursaut collectif avait certes émergé, porté par la peur commune face au désastre qui se dessinait: initiatives conjointes d’achat de vaccins, mécanismes de coordination continentale, appels renouvelés à la souveraineté sanitaire. Mais ce frémissement d’action collective n’a pas survécu à la dissipation de la menace immédiate. Aujourd’hui, alors que le soutien extérieur se tarit et que les incertitudes s’accumulent, l’Afrique n’a plus le luxe de retomber dans le même attentisme. Elle doit apprendre à compter davantage sur ses propres forces et à inscrire cette volonté dans la durée, tout en bâtissant des solidarités concrètes, notamment dans le cadre des Nations unies.
La recomposition en cours du monde et la redistribution des cartes de la puissance qui l’accompagne peuvent, elles aussi, être mises à profit comme des leviers. Lors de la création de l’ordre multilatéral d’après-guerre, avec l’Organisation des Nations unies à son centre, l’Afrique était quasiment absente, représentée à la Conférence de San Francisco qui eut lieu d’avril à juin 1945 par seulement trois États (l’Égypte, l’Éthiopie et le Libéria, l’Union d’Afrique sud ne pouvant être considérée comme représentative du continent du fait de son système de discrimination raciale) – tous marqués, à des degrés divers, par les injustices et les échecs du système international de l’entre-deux-guerres. Elle ne peut se permettre de l’être une seconde fois. C’est en misant sur son unité qu’elle pourra peser sur l’architecture mondiale en gestation. Si l’impératif d’agir était déjà fort en 1990 – époque marquée par l’optimisme post-Guerre froide et l’éveil d’un nouvel esprit de coopération, il est aujourd’hui encore plus pressant, car dicté non plus par l’espoir, mais par la nécessité de faire face à une période d’instabilité et d’incertitudes profondes.
La bonne nouvelle – au-delà des opportunités qu’offre, malgré tout, le moment actuel – est que l’Afrique dispose aujourd’hui d’atouts qu’elle n’avait pas au début des années 1990. À l’époque, il fallait poser les fondations: bâtir les instruments politiques, normatifs et institutionnels dont le continent avait besoin pour agir collectivement. Ce travail, amorcé dès les premières décennies de l’OUA, a depuis été largement accompli. Il n’existe aujourd’hui aucun domaine stratégique pour l’Afrique – paix et sécurité, gouvernance, démocratie, droits humains, développement économique et social – qui ne soit couvert par un cadre continental pertinent. L’Agenda 2063, feuille de route adoptée en 2015 pour projeter le continent vers l’avenir qu’il souhaite, donne une cohérence d’ensemble à tous ces instruments et les inscrit dans une vision stratégique partagée.
Dans le domaine économique, l’agenda de l’intégration est jalonné par des instruments majeurs comme le Marché unique du transport aérien en Afrique (MUTAA), lancé en janvier 2018; l’Accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et le Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et le droit d’établissement (ici et ici), tous deux adoptés en mars 2018; ainsi que par de nombreuses stratégies sectorielles continentales portant sur l’industrialisation, l’agriculture et les systèmes alimentaires, les infrastructures, l’éducation, les sciences et technologies, ou encore l’environnement.
S’agissant de la paix et de la sécurité, des droits de l’homme et de la gouvernance, les normes adoptées et les mécanismes mis en place par l’Afrique comptent sans conteste parmi les plus avancés au monde. Ils s’articulent autour d’un ensemble cohérent de textes, parmi lesquels: (a) le Traité sur la Zone exempte d’armes nucléaires en Afrique (Traité de Pelindaba) de 1996, la Convention sur la prévention et la lutte contre le terrorisme de 1999 et son Protocole additionnel de 2004, le Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité de 2002 – qui a tiré les leçons du fonctionnement et des insuffisances du Mécanisme du Caire, notamment l’incapacité à prévenir et à stopper le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 – et le Pacte de non-agression et de défense commune de 2005 (ici, ici, ici et ici); (b) les nombreux instruments additionnels à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dont ceux portant sur les droits des enfants et ceux des femmes, les personnes déplacées et le droit à une nationalité et l’éradication de l’apatride en Afrique (ici, ici, ici et ici); et (c) la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007, ainsi que d’autres instruments connexes – la Convention sur la prévention et la lutte contre la corruption, et les Chartes sur la fonction publique et sur la décentralisation (ici, ici, ici et ici).
Si l’impératif d’agir était déįà fort en 1990 – époque marquée par l’optimisme post-Guerre froide et l’éveil d’un nouvel esprit de coopération –, il est auįourd’hui encore plus pressant, car dicté non plus par l’espoir, mais par la nécessité de faire face à une période d’instabilité et d’incertitudes profondes
Cette nouvelle conjoncture mondiale est lourde de périls pour l’Afrique. Continent le plus pauvre et le plus faible sur la scène internationale, l’Afrique subit de plein fouet la réduction de l’aide publique au développement, dont les effets se font déjà durement sentir sur le terrain. Dans plusieurs pays, cette baisse compromet le fonctionnement même des services sociaux de base et fragilise davantage des systèmes étatiques déjà précaires. Les tensions géopolitiques et autres se traduisent par l’intensification des luttes d’influence, une course effrénée pour le contrôle des ressources du continent et une internationalisation croissante des conflits et des crises qui l’affligent. Les processus de recherche de solutions deviennent ainsi plus complexes, plus opaques, souvent déconnectées des priorités locales, reléguant au second plan les mécanismes multilatéraux africains patiemment construits au fil de décennies d’efforts. L’affaiblissement du système multilatéral affecte plus durement l’Afrique que la plupart des autres régions du monde. Bien qu’imparfait, ce cadre permet au continent de faire entendre sa voix, de construire des coalitions et de défendre ses intérêts. Son effritement risque de marginaliser encore davantage les pays africains, en les livrant à des rapports de force bilatéraux où leurs fragilités structurelles les désavantagent fortement.
Pourtant, cette crise peut aussi être une opportunité. La contraction de l’aide internationale, pour dévastatrice qu’elle soit sur les court et moyen termes, pourrait néanmoins être un choc salutaire. Elle rappelle au continent l’urgence de réduire sa dépendance et de renforcer sa résilience. La pandémie de Covid-19 avait déjà offert un aperçu dramatique de cette vulnérabilité structurelle. Dans un contexte de compétition mondiale acharnée pour l’accès aux vaccins, l’Afrique s’était retrouvée quasiment abandonnée, victime d’un ordre international dont le fonctionnement évoquait, par bien des aspects, la logique hobbesienne selon laquelle « l’homme est un loup pour l’homme ». Un sursaut collectif avait certes émergé, porté par la peur commune face au désastre qui se dessinait: initiatives conjointes d’achat de vaccins, mécanismes de coordination continentale, appels renouvelés à la souveraineté sanitaire. Mais ce frémissement d’action collective n’a pas survécu à la dissipation de la menace immédiate. Aujourd’hui, alors que le soutien extérieur se tarit et que les incertitudes s’accumulent, l’Afrique n’a plus le luxe de retomber dans le même attentisme. Elle doit apprendre à compter davantage sur ses propres forces et à inscrire cette volonté dans la durée, tout en bâtissant des solidarités concrètes, notamment dans le cadre des Nations unies.
La recomposition en cours du monde et la redistribution des cartes de la puissance qui l’accompagne peuvent, elles aussi, être mises à profit comme des leviers. Lors de la création de l’ordre multilatéral d’après-guerre, avec l’Organisation des Nations unies à son centre, l’Afrique était quasiment absente, représentée à la Conférence de San Francisco qui eut lieu d’avril à juin 1945 par seulement trois États (l’Égypte, l’Éthiopie et le Libéria, l’Union d’Afrique sud ne pouvant être considérée comme représentative du continent du fait de son système de discrimination raciale) – tous marqués, à des degrés divers, par les injustices et les échecs du système international de l’entre-deux-guerres. Elle ne peut se permettre de l’être une seconde fois. C’est en misant sur son unité qu’elle pourra peser sur l’architecture mondiale en gestation. Si l’impératif d’agir était déjà fort en 1990 – époque marquée par l’optimisme post-Guerre froide et l’éveil d’un nouvel esprit de coopération, il est aujourd’hui encore plus pressant, car dicté non plus par l’espoir, mais par la nécessité de faire face à une période d’instabilité et d’incertitudes profondes.
La bonne nouvelle – au-delà des opportunités qu’offre, malgré tout, le moment actuel – est que l’Afrique dispose aujourd’hui d’atouts qu’elle n’avait pas au début des années 1990. À l’époque, il fallait poser les fondations: bâtir les instruments politiques, normatifs et institutionnels dont le continent avait besoin pour agir collectivement. Ce travail, amorcé dès les premières décennies de l’OUA, a depuis été largement accompli. Il n’existe aujourd’hui aucun domaine stratégique pour l’Afrique – paix et sécurité, gouvernance, démocratie, droits humains, développement économique et social – qui ne soit couvert par un cadre continental pertinent. L’Agenda 2063, feuille de route adoptée en 2015 pour projeter le continent vers l’avenir qu’il souhaite, donne une cohérence d’ensemble à tous ces instruments et les inscrit dans une vision stratégique partagée.
Dans le domaine économique, l’agenda de l’intégration est jalonné par des instruments majeurs comme le Marché unique du transport aérien en Afrique (MUTAA), lancé en janvier 2018; l’Accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et le Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et le droit d’établissement (ici et ici), tous deux adoptés en mars 2018; ainsi que par de nombreuses stratégies sectorielles continentales portant sur l’industrialisation, l’agriculture et les systèmes alimentaires, les infrastructures, l’éducation, les sciences et technologies, ou encore l’environnement.
S’agissant de la paix et de la sécurité, des droits de l’homme et de la gouvernance, les normes adoptées et les mécanismes mis en place par l’Afrique comptent sans conteste parmi les plus avancés au monde. Ils s’articulent autour d’un ensemble cohérent de textes, parmi lesquels: (a) le Traité sur la Zone exempte d’armes nucléaires en Afrique (Traité de Pelindaba) de 1996, la Convention sur la prévention et la lutte contre le terrorisme de 1999 et son Protocole additionnel de 2004, le Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité de 2002 – qui a tiré les leçons du fonctionnement et des insuffisances du Mécanisme du Caire, notamment l’incapacité à prévenir et à stopper le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 – et le Pacte de non-agression et de défense commune de 2005 (ici, ici, ici et ici); (b) les nombreux instruments additionnels à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dont ceux portant sur les droits des enfants et ceux des femmes, les personnes déplacées et le droit à une nationalité et l’éradication de l’apatride en Afrique (ici, ici, ici et ici); et (c) la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007, ainsi que d’autres instruments connexes – la Convention sur la prévention et la lutte contre la corruption, et les Chartes sur la fonction publique et sur la décentralisation (ici, ici, ici et ici).
À ces fondements normatifs s’ajoutent des organes dédiés tels que le Conseil de paix et de sécurité (CPS), le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), le Bureau de lutte contre la corruption, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour du même nom (ici, ici, ici et ici).
L’Afrique n’a pas besoin de nouveaux outils. Ce dont elle a besoin, c’est d’un basculement tectonique: faire de l’exécution des engagements pris la priorité absolue. Ce que l’on considère trop souvent comme une simple affaire d’intendance doit être érigé en impératif politique et stratégique maįeur
Mais cet impressionnant arsenal normatif et institutionnel peine encore à produire les résultats attendus, malgré les ressources naturelles immenses du continent, une jeunesse nombreuse et dynamique, et une créativité culturelle et artistique mondialement reconnue.
La transformation économique du continent est encore à réaliser, avec des exportations dominées par les matières premières et une contribution minuscule à la valeur ajoutée manufacturière mondiale. Le commerce intra-africain stagne à des niveaux anémiques – autour de 15 %, loin derrière les autres régions. Le transport aérien reste limité et prohibitif, avec des coûts en moyenne 50 % plus élevés qu’ailleurs, alors même que la partie subsaharienne du continent abrite près de 67% des personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans le monde. Les besoins en infrastructures demeurent massifs, avec un déficit estimé présentement entre 70 et 110 milliards de dollars par an. Malgré les avancées réalisées ces dernières années, les citoyens africains éprouvent bien plus de difficultés à se déplacer sur le continent que ceux de plusieurs pays non africains, ayant besoin de visas pour près de 50% des voyages intra-africains. Les processus démocratiques sont confrontés à de nombreux défis, au premier rang desquels figure la résurgence des changements anticonstitutionnels de gouvernement, signe parmi d’autres de la profondeur des crises de gouvernance sur le continent. Concernant la paix et la sécurité, la situation est tout aussi préoccupante: l’Afrique compte aujourd’hui plusieurs conflits armés actifs touchant quasiment toutes ses régions, tandis que le nombre de personnes déplacées dépasse les 44 millions – soit près de 3 % de la population du continent. Un niveau sans précédent, qui témoigne de l’ampleur des fragilités accumulées.
Cet immense fossé entre l’ambition normative et politique, d’une part, et la réalité de terrain, de l’autre, s’explique avant tout par un déficit de capacité de mise en œuvre. C’est là que doit désormais se concentrer l’effort. L’Afrique n’a pas besoin de nouveaux outils; elle n’a surtout pas le luxe de s’engager dans une course sans fin à la production de textes. Ce dont elle a besoin, c’est d’un basculement tectonique: faire de l’exécution des engagements pris la priorité absolue. Ce que l’on considère trop souvent comme une simple affaire d’intendance doit être érigé en impératif politique et stratégique majeur.
L’urgence est d’autant plus grande que l’on sent que l’idéal d’unité, jadis moteur des grandes avancées panafricaines, ne mobilise plus avec la même intensité. Un fil s’est quelque part rompu – entre les institutions et les peuples, entre le rêve d’intégration et les réalités nationales fragmentées. Il est impératif de restaurer la foi en l’unité continentale, non comme un slogan abstrait, mais comme une condition concrète du renouveau. Sans cette conviction partagée, il sera difficile d’imprimer à l’action africaine la vigueur et la cohérence requises face aux défis immenses du moment.
Dans ce contexte, l’intuition de Salim Ahmed Salim en 1990 est plus pertinente que jamais pour la Commission de l’UA qui vient tout juste d’entamer son mandat et au succès de laquelle doivent œuvrer toutes les bonnes volontés sur le continent. Elle se trouve aujourd’hui à un moment charnière, qui lui donne l’opportunité de marquer son passage par une initiative audacieuse et structurante.
Concrètement, il s’agit pour elle de prendre l’initiative d’un rapport fondateur, dans la veine de celui de 1990 – un document qui articule clairement les enjeux du moment, dresse un diagnostic sans complaisance de l’état du continent et, surtout, propose des réponses centrées sur la mise en œuvre effective des engagements déjà pris. Ce rapport devra en effet aller au- delà des constats: il devra nommer les urgences, secteur par secteur, et identifier les mesures concrètes à entreprendre pour y répondre. Il devra rappeler une vérité que tous reconnaissent en théorie, mais que les pratiques nationales ne confirment pas toujours avec la vigueur souhaitée: aucun pays africain ne peut espérer prospérer seul. Même unie, l’Afrique restera encore marginale sur la scène mondiale pendant un certain temps, d’autant que les perspectives de réforme du Conseil de sécurité – où l’Afrique est le seul continent à ne pas disposer d’un siège permanent – semblent encore lointaines; désunie, elle s’offre en proie facile dans un monde qui n’a jamais eu pitié des faibles – et en a encore moins aujourd’hui. L’heure est venue pour le continent de faire le pari de la cohésion interne, tout en continuant à cultiver la solidarité internationale.
Si le rapport de 1990 doit servir d’inspiration, celui proposé ici devra aller bien au-delà, tant par l’ambition qu’il portera que par l’ampleur de la mobilisation qu’il suscitera. L’urgence de la situation, la complexité des défis et l’ampleur des attentes commandent une réponse qui soit à la hauteur de ce qui se įoue
Dans cette entreprise de renouveau, l’UA doit occuper une place centrale. Rien de durable ne pourra ni ne devra se concevoir en dehors d’elle. En tant que cadre institutionnel légitime de l’unité continentale, elle est la mieux placée pour incarner la voix et les ambitions collectives de l’Afrique et accélérer la mise en œuvre de ses stratégies de promotion de la paix, d’approfondissement de la démocratie et de respect des droits de l’homme, ainsi que d’intégration et de développement




L’Afrique n’a pas besoin de nouveaux outils. Ce dont elle a besoin, c’est d’un basculement tectonique: faire de l’exécution des engagements pris la priorité absolue. Ce que l’on considère trop souvent comme une simple affaire d’intendance doit être érigé en impératif politique et stratégique maįeur
Mais cet impressionnant arsenal normatif et institutionnel peine encore à produire les résultats attendus, malgré les ressources naturelles immenses du continent, une jeunesse nombreuse et dynamique, et une créativité culturelle et artistique mondialement reconnue.
La transformation économique du continent est encore à réaliser, avec des exportations dominées par les matières premières et une contribution minuscule à la valeur ajoutée manufacturière mondiale. Le commerce intra-africain stagne à des niveaux anémiques – autour de 15 %, loin derrière les autres régions. Le transport aérien reste limité et prohibitif, avec des coûts en moyenne 50 % plus élevés qu’ailleurs, alors même que la partie subsaharienne du continent abrite près de 67% des personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans le monde. Les besoins en infrastructures demeurent massifs, avec un déficit estimé présentement entre 70 et 110 milliards de dollars par an. Malgré les avancées réalisées ces dernières années, les citoyens africains éprouvent bien plus de difficultés à se déplacer sur le continent que ceux de plusieurs pays non africains, ayant besoin de visas pour près de 50% des voyages intra-africains. Les processus démocratiques sont confrontés à de nombreux défis, au premier rang desquels figure la résurgence des changements anticonstitutionnels de gouvernement, signe parmi d’autres de la profondeur des crises de gouvernance sur le continent. Concernant la paix et la sécurité, la situation est tout aussi préoccupante: l’Afrique compte aujourd’hui plusieurs conflits armés actifs touchant quasiment toutes ses régions, tandis que le nombre de personnes déplacées dépasse les 44 millions – soit près de 3 % de la population du continent. Un niveau sans précédent, qui témoigne de l’ampleur des fragilités accumulées.
Cet immense fossé entre l’ambition normative et politique, d’une part, et la réalité de terrain, de l’autre, s’explique avant tout par un déficit de capacité de mise en œuvre. C’est là que doit désormais se concentrer l’effort. L’Afrique n’a pas besoin de nouveaux outils; elle n’a surtout pas le luxe de s’engager dans une course sans fin à la production de textes. Ce dont elle a besoin, c’est d’un basculement tectonique: faire de l’exécution des engagements pris la priorité absolue. Ce que l’on considère trop souvent comme une simple affaire d’intendance doit être érigé en impératif politique et stratégique majeur.
L’urgence est d’autant plus grande que l’on sent que l’idéal d’unité, jadis moteur des grandes avancées panafricaines, ne mobilise plus avec la même intensité. Un fil s’est quelque part rompu – entre les institutions et les peuples, entre le rêve d’intégration et les réalités nationales fragmentées. Il est impératif de restaurer la foi en l’unité continentale, non comme un slogan abstrait, mais comme une condition concrète du renouveau. Sans cette conviction partagée, il sera difficile d’imprimer à l’action africaine la vigueur et la cohérence requises face aux défis immenses du moment.
Dans ce contexte, l’intuition de Salim Ahmed Salim en 1990 est plus pertinente que jamais pour la Commission de l’UA qui vient tout juste d’entamer son mandat et au succès de laquelle doivent œuvrer toutes les bonnes volontés sur le continent. Elle se trouve aujourd’hui à un moment charnière, qui lui donne l’opportunité de marquer son passage par une initiative audacieuse et structurante.
Concrètement, il s’agit pour elle de prendre l’initiative d’un rapport fondateur, dans la veine de celui de 1990 – un document qui articule clairement les enjeux du moment, dresse un diagnostic sans complaisance de l’état du continent et, surtout, propose des réponses centrées sur la mise en œuvre effective des engagements déjà pris. Ce rapport devra en effet aller au- delà des constats: il devra nommer les urgences, secteur par secteur, et identifier les mesures concrètes à entreprendre pour y répondre. Il devra rappeler une vérité que tous reconnaissent en théorie, mais que les pratiques nationales ne confirment pas toujours avec la vigueur souhaitée: aucun pays africain ne peut espérer prospérer seul. Même unie, l’Afrique restera encore marginale sur la scène mondiale pendant un certain temps, d’autant que les perspectives de réforme du Conseil de sécurité – où l’Afrique est le seul continent à ne pas disposer d’un siège permanent – semblent encore lointaines; désunie, elle s’offre en proie facile dans un monde qui n’a jamais eu pitié des faibles – et en a encore moins aujourd’hui. L’heure est venue pour le continent de faire le pari de la cohésion interne, tout en continuant à cultiver la solidarité internationale.
Si le rapport de 1990 doit servir d’inspiration, celui proposé ici devra aller bien au-delà, tant par l’ambition qu’il portera que par l’ampleur de la mobilisation qu’il suscitera. L’urgence de la situation, la complexité des défis et l’ampleur des attentes commandent une réponse qui soit à la hauteur de ce qui se įoue
Dans cette entreprise de renouveau, l’UA doit occuper une place centrale. Rien de durable ne pourra ni ne devra se concevoir en dehors d’elle. En tant que cadre institutionnel légitime de l’unité continentale, elle est la mieux placée pour incarner la voix et les ambitions collectives de l’Afrique et accélérer la mise en œuvre de ses stratégies de promotion de la paix, d’approfondissement de la démocratie et de respect des droits de l’homme, ainsi que d’intégration et de développement
durable. Il faudra à cet égard inverser une tendance préoccupante: celle qui voit des sommets organisés avec des partenaires extérieurs – bilatéraux ou multilatéraux – attirer davantage de chefs d’État et de gouvernement que les propres assises de l’organisation continentale.
Quant à la Commission, il lui reviendra de tracer des chemins d’action concrets et efficaces, d’identifier les leviers qui peuvent produire un impact tangible dans la vie quotidienne des centaines de millions d’Africains qui n’ont que trop attendu des lendemains meilleurs, et d’aider à générer la volonté politique lorsqu’elle fait défaut ou faiblit. Dans cette entreprise, l’imagination et la créativité, l’agilité et la souplesse sont ses meilleures armes.
Si le rapport de 1990 doit servir d’inspiration, celui proposé ici devra aller bien au-delà, tant par l’ambition qu’il portera que par l’ampleur de la mobilisation qu’il suscitera. L’urgence de la situation, la complexité des défis et l’ampleur des attentes commandent une réponse qui soit à la hauteur de ce qui se joue présentement. Pour atteindre ces objectifs, l’élaboration d’un tel rapport devra s’appuyer sur un processus de consultation aussi inclusif qu’approfondi. Il ne saurait s’agir d’un exercice technocratique mené en vase clos. Les États membres devront naturellement y jouer un rôle central, tout comme les Communautés économiques régionales, mais la parole devra aussi être donnée à la société civile africaine, aux organisations de jeunesse et de femmes, aux milieux intellectuels et aux cercles de réflexion, aux entrepreneurs et innovateurs du continent – en un mot, à toutes les forces vives dont le potentiel, jusqu’ici sous-exploité, ne demande qu’à être mobilisé.
Une fois finalisé, le rapport devrait être soumis à un sommet extraordinaire de l’UA à son siège à Addis Abeba, avec la participation de tous les chefs d’État et de gouvernement, afin d’en garantir l’appropriation politique au plus haut niveau et d’en faire un véritable levier d’action. Le sursaut attendu devra être collectif, inclusif et résolu.
Certes, un rapport ne résoudra pas tout. Ce n’est, au fond, qu’un document. Mais sa valeur réside dans l’élan qu’il peut susciter, s’il est bien conçu, captivant notamment les imaginaires, bien porté, et suivi d’effets. L’histoire récente a montré que de tels exercices, bien menés, peuvent avoir un effet catalyseur. C’est ce qu’a illustré le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, avec la publication, en 2021, de ‘Notre programme commun ’ dans un contexte de crise profonde du multilatéralisme et de grande inquiétude face à la COVID-19 – un texte qui a servi de tremplin pour le Pacte pour l’avenir, adopté en septembre 2024, et à d’autres initiatives stratégiques. La Commission européenne, de son côté, a récemment mandaté Mario Draghi pour poser un regard lucide sur l’avenir de la compétitivité de l’Europe et refonder son action économique à l’échelle mondiale. Plus loin dans le temps, Boutros Boutros-Ghali avait lancé, en 1992, ‘Un agenda pour la paix’, qui structura l’action onusienne pour plusieurs années; et son successeur, Kofi Annan, à l’aube du nouveau millénaire, proposa ‘Nous les peuples: le rôle des Nations unies au XXIe siècle ’, texte qui servit de base au Sommet du Millénaire et à la Déclaration éponyme.
Il ne peut être attendu de la Commission de l’UA qu’elle garantisse le succès d’un tel exercice. Mais elle a le devoir de poser les problèmes, de mettre les États face à leurs responsabilités, et de prendre l’opinion africaine à témoin. Car à des moments décisifs de l’histoire, le simple fait de nommer les choses avec clarté et ambition peut enclencher des dynamiques inattendues – et faire surgir, à force de lucidité, une volonté collective nouvelle.
En mai 1963, lors du débat – de haute tenue – qui, à Addis-Abeba, opposa les partisans d’une approche graduelle de l’unité africaine à ceux qui plaidaient pour une intégration politique plus poussée dès le départ, Kwame Nkrumah eut sans doute le tort – politique – d’avoir eu raison trop tôt. L’histoire, cependant, a rétroactivement validé sa vision: les limites de l’approche qui prévalut à la création de l’OUA sont aujourd’hui manifestes, et les retards accumulés pèsent lourdement sur les perspectives du continent. Il appartient désormais aux dirigeants africains, par leurs actes et leur détermination, de rendre justice à cette intuition visionnaire – fût-ce avec plusieurs décennies de retard.
Said Djinnit, de nationalité algérienne, a servi comme Directeur de Cabinet de Salim Ahmed Salim de 1989 à 1999, avant d’occuper par la suite les fonctions de Secrétaire général adjoint aux Affaires politiques à l’Organisation de l’unité africaine et celles de Commissaire à la Paix et à la Sécurité à l’Union africaine. De 2008 à 2019, il a été Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Afrique de l’Ouest, puis Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies dans la région des Grands Lacs.
Dr. Ibrahim Assane Mayaki, de nationalité nigérienne, est l’ancien Directeur général de l’Agence de Développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD), ayant occupé ce poste de 2009 à avril 2022. De 1997 à 2000, il a assumé les fonctions de Premier ministre du Niger et de ministre des Affaires étrangères. Dr. Mayaki a également eu une carrière académique, ayant enseigné au Niger, au Venezuela et en France, et dirigé différents centres de recherche. Il est Commandeur de l’Ordre du Mérite agricole de France et Membre associé de l’Académie d’Agriculture française. Il a également reçu le Grand Cordon de l’Ordre du Soleil Levant de l’Empereur du Japon Naruhito.
El-Ghassim Wane, de nationalité mauritanienne, a été Directeur du Département paix et sécurité à la Commission de l’Union africaine et Directeur de cabinet du Président de la Commission de l’UA. Il a aussi servi comme sous-Secrétaire général chargé du maintien de la paix au siège des Nations unies à New York et comme Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Mali et chef de la MINUSMA. Il a également été professeur invité aux Etats-Unis, en France et au Royaume-Uni.