« Je compte sur la clarté de mon programme et la pertinence des actions que je propose et sur l’expérience que j’ai du développement aussi bien du côté de la demande que du côté de l’offre ». C’est ainsi que l’ancien ministre de l’Économie de la Mauritanie, Sidi Ould Tah défendait sa candidature à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) dans une interview accordée à Radio France Internationale. C’est bien lui qui prendra la tête de l’institution africaine de financement du développement qui a la plus grande légitimité politique et historique. Il prendra le relais d’Akinwumi Adesina, ancien ministre de l’Agriculture du Nigeria, qui aura fait deux mandats de cinq ans, le maximum autorisé. Sous sa présidence, la BAD a connu une augmentation historique de son capital qui est passé de 93 à 318 milliards de dollars et a contribué de manière significative à la réponse africaine aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19.
C’est à Khartoum au Soudan que les représentants de vingt-cinq gouvernements du continent se sont réunis en septembre 1964 pour ratifier l'accord multinational portant création de la Banque africaine de développement, avec comme mission de porter le projet de développement économique des pays africains nouvellement indépendants, ambition indissociable de la vision d’unité africaine incarnée sur le plan politique par l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) créée un an plus tôt, en 1963.
Sidi Ould Tah sera donc le neuvième président de plein exercice de la BAD, élu par le Conseil d’administration composé de 81 pays actionnaires dont 54 pays africains dits régionaux et 27 non africains. Une victoire éclatante au troisième tour de vote avec 76,18% du total des voix et 72,37% des suffrages des pays africains. Dans les pays de nationalité des candidats qui ont battu campagne pendant des mois et qui ne seront pas à la tête de l’institution, de nombreux articles évoquent un échec de leurs diplomaties respectives, avec parfois des critiques virulentes.
Ces polémiques ont peu d’intérêt. Tous les cinq candidats, dont une candidate d’Afrique du Sud, dont on ne peut considérer la diplomatie comme défaillante à l’échelle du continent, avaient d’excellents dossiers témoignant de l’expérience et des compétences essentielles nécessaires pour diriger une grande banque de développement. Ils ne pouvaient pas tous devenir présidents. Celui qui s’est détaché, Sidi Ould Tah, n’a pas gagné au premier chef à cause d’une diplomatie mauritanienne exceptionnelle, mais d’abord en raison des « petits plus » qu’il a pu et su faire valoir auprès d’une majorité de décideurs politiques et économiques africains.
Docteur en économie, Ould Tah a exercé plusieurs hautes fonctions en Mauritanie : ministre de l’Économie et des Finances, ministre des Affaires Économiques et du Développement, président du Conseil national des statistiques, secrétaire permanent du Conseil présidentiel pour l'investissement. Il fut gouverneur de la Mauritanie à la Banque mondiale, à la Banque islamique de développement, à la Banque africaine de développement, et au Fonds arabe pour le développement économique et social. Mais ce qui a sans doute le plus contribué au succès de sa candidature à la tête de la BAD, ce sont les dix années qu’il vient de passer à la présidence de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA).
La BADEA est devenue sous son autorité l'une des banques de développement les mieux notées d'Afrique, son capital a été multiplié par cinq en dix ans, les approbations de financement ont été multipliées par douze, les décaissements multipliés par huit, les créances douteuses considérablement réduites. L’ampleur des commentaires enthousiastes d’acteurs économiques et financiers africains qui se félicitent de l’élection de Sidi Ould Tah témoigne de l’excellente réputation dont il jouit. Les liens tissés avec les décideurs politiques et économiques des pays riches du Golfe et du monde arabe de manière générale ont certainement été des atouts supplémentaires précieux.
Pendant les cinq prochaines années, il lui faudra traduire les promesses en réalisations palpables au profit des populations africaines. La pression sera d’autant plus forte que son programme est effectivement clair et intelligible. Il met en avant quatre priorités : une mobilisation plus massive de ressources par la BAD avec un objectif très ambitieux consistant à passer de 10 à 100 milliards de dollars US d'engagements annuels, avec les apports des partenaires; le repositionnement de la BAD au cœur de l’architecture financière du continent en assumant un rôle de coordination des nombreuses institutions financières qui ne travaillent pas suffisamment ensemble; l’investissement dans la jeunesse pour en faire l’acteur majeur de la transformation structurelle de l’Afrique, avec des propositions concrètes pour le financement des micro et des petites et moyennes entreprises, aujourd’hui majoritairement informelles; et enfin le développement des infrastructures résilientes pour une industrialisation compatible avec les contraintes imposées par le changement climatique.
Certaines de ses propositions sont très concrètes comme celle consistant à créer une agence africaine de garantie pour aider les très petites, petites et moyennes entreprises à bénéficier de crédits en utilisant des approches innovantes, notamment des technologies de l’intelligence artificielle, pour mieux apprécier les risques, la rentabilité et l’impact attendu des projets. Au terme du mandat de cinq ans, il ne sera pas difficile de faire un premier bilan de l’action de Sidi Ould Tah à la présidence de la BAD.
Cette élection suscite deux commentaires de ma part. Le premier est la réaffirmation de l’importance cruciale de concevoir et de mettre en œuvre des processus clairs, transparents et exigeants pour la sélection des dirigeants de nos institutions, qu’elles soient continentales, régionales ou nationales. Chacun des présidents de la BAD depuis sa création avait sa personnalité, des qualités, des défauts, un équilibre particulier des différentes compétences souhaitables pour la fonction, mais tous ont apporté une contribution positive au développement de l’institution et aucun ne s’est révélé inapte à occuper cette fonction. Parce que le processus ne permet pas d’aboutir au choix d’une personnalité notoirement incompétente ou profondément malhonnête.
Nous avons besoin au niveau des organisations régionales et dans chacun des États africains de filtres de candidatures stables et exigeants pour le choix des personnes appelées à diriger des institutions cruciales pour la stabilité, la sécurité et le progrès économique et social d’un pays ou d’une région. C’est un message que nous portons à WATHI depuis plusieurs années dans le cadre de nos propositions sur les institutions nécessaires pour des États qui soient à la fois démocratiques et efficaces en matière de résultats pour les populations.
Le deuxième commentaire consiste à réaffirmer le lien indissociable entre les défis économiques et les défis politiques et à rejeter la pertinence d’une hiérarchisation entre ces défis. L’impact d’une institution comme la BAD sur l’amélioration des conditions de vie des populations africaines dépend au premier chef du contexte politique, sécuritaire et économique de chaque pays et, in fine, de la qualité du leadership politique et des capacités existantes de l’État et du secteur privé national dans chaque pays. La BAD approuve et finance des projets qui sont censés s’inscrire dans les programmes nationaux de développement et dans les programmes régionaux eux-mêmes portés par les États et les organisations d’intégration régionale.
Alors que souffle au sein d’une partie des populations africaines un vent de rejet de toutes les organisations régionales africaines ou presque, considérées comme parfaitement inutiles, il faut continuer à rappeler d’une part que ce n’est pas vrai – la BAD, la CEDEAO, l’Union africaine et toutes les autres sont fort utiles et impactent des millions de vies depuis des décennies – et d’autre part, que la responsabilité première des échecs, des défaillances et des résultats insuffisants est à rechercher au niveau des pays membres. Et au niveau des institutions et des hommes et, plus rarement, des femmes qui les dirigent. On en revient aux institutions et au soin que l’on met dans la sélection des personnes qui doivent les incarner pendant une période donnée avant de céder la place à d’autres en respectant les règles prévues.
Source: Wathi